REVELATIONS SUR L'ASSASSINAT DE MONCEF BEN ALI
Au printemps 1989, la Brigade des stupéfiants dirigée par Joëlle P. parvient à interpeller à Orly une escouade de trafiquants de drogue qui se dirigeaient vers Tunis. Des mois de filature et d'écoutes téléphoniques ont permis à la police française d'être édifiée sur l'existence d'un vaste réseau de trafic de stupéfiants entre la Hollande et la France. L'originalité est que les membres de ce réseau sont tous Tunisiens. Le hic est que la filature et les écoutes téléphoniques à l'hôtel Edouard VII, dans le quartier de l'Opéra, ont permis de constater que le chef du réseau est Moncef Ben Ali, frère du président de la République tunisienne auquel il est affectivement très lié.
Flairant que des mois de travail allaient s'évaporer dans la mesure où les trafiquants envisageaient de se rendre à Tunis et disparaître dans la nature, la commissaire décida d'agir et d'interpeller tout ce beau monde à leur embarquement. "L'homme bien sapé, qui la prit de haut en lui disant : vous ne savez pas qui je suis" était bel et bien Moncef Ben Ali. Toutes ces honorables gens sont néanmoins arrêtées (les frères Roma, Hamada Ben Cheikh, actuellement vice-président de la municipalité de Kélibia, Noureddine Ben Aleya, restaurateur etc.) à l'exception de Moncef Ben Ali et de Ridha Hassen, neveu du directeur de la sûreté nationale et ancien consul général à Rome, Frej Gdoura.Le premier faisait prévaloir son lien de parenté avec Ben Ali, le second portait la valise en cuir pleine à craquer de billets Pascal (500francs). Au sommet de l'Etat français, on est prévenu et l'Exécutif laisse faire.
Entre temps, l'avion Tunis-Air à destination de Tunis reste cloué au sol d'Orly avec plus de 200 passagers à bord. Le Général Ben Ali est informé sur-le-champ. Il fit dépêcher un avion de Tunis à bord duquel des émissaires spéciaux sont porteurs de deux passeports diplomatiques: l'un portant l'identité de Moncef (Habib) Ben Ali et l'autre celle de Ridha Belhassen et non Hassen.L'ambassadeur de l'époque, Brahim Turki, se chargea alors de récupérer ces précieux documents et de les fournir à la police française pour sortir de ses griffes ces deux mafiosi au statut particulier.Au bout de quatre heures et demi d'attente, l'avion Tunis-Air put décoller vers Tunis sans que les passagers n'eurent la moindre explication.
Arrivée à Tunis.
A l'arrivée de l'avion à Tunis, la crème des tortionnaires et des proches de Ben Ali se trouvaient en bas de la passerelle. Il s'agissait du ministre de l'Intérieur de l'époque, Chedli Neffati, du directeur général des services spéciaux, Mohamed Ali Ganzoui, du directeur de la police de l'air et des frontières, Hamda Boucetta et du président-bis, l'homme d'affaires Kamel Eltaief. Destination: le Palais de Carthage...C'est là que le Général Ben Ali reçut son frère et Ridha Hassen auquel il s'adressa en ces termes dans un bureau clos: "Si tu ouvres la bouche, je te brise (je te n.... dans le langage ordurier de Ben Ali), si tu la fermes, je ferais de toi un homme". Et Ridha Hassen de répondre: "Qu'attendez-vous de moi, Monsieur le Président?" "Que tu quittes Tunis et que tu ne t'affiches plus avec mon frère Moncef le temps que les choses s'apaisent et rentrent dans l'ordre", rétorqua notre Généralissime protecteur des mafieux et des orphelins.Dans la semaine, Ridha Hassen liquida ses avoirs à Tunis et alla s'installer à Djerba avec sa jeune épouse, Saloua Ben Cheikh. Dans la semaine aussi, une licence de vente de tabac, une autre de vente d'alcool et une troisième d'import de friperie lui furent octroyées sur l'île...Bras de fer politique et manipulation médiatique :
Cette affaire avait jeté un grand froid sur les relations franco-tunisiennes à peine rétablies après la visite du président Mitterrand à Tunis au printemps 1989 (voir encadré 1). Ben Ali exigeait, en effet, que Mitterrand l'appelle et l'assure de son soutien. En d'autres termes, il croyait normal que le Président français intercède auprès de la Justice française pour étouffer l'affaire et qu'il intervienne auprès de la presse pour ne pas ébruiter "l'incident", d'autant plus qu'à Tunis tout le monde ignorait le scandale.Le président Mitterrand, à son honneur, ne bougera pas le plus petit doigt dans ce sens. Et la justice suivit son cours...
Parallèlement, pour la consommation locale et à l'intention des chancelleries occidentales mises au parfum, Ben Ali ordonna fin juin 1989 une opération de manipulation médiatique par le biais de l'hebdomadaire "Réalités". Pour être en fonction dans ce journal à l'époque, je peux en témoigner aujourd'hui et défie quiconque m'apporterait la moindre contradiction.Le bouclage de l'hebdomadaire se fait le mercredi soir. Slah Saied, maquettiste de la couverture en recevait les éléments dès le mardi de chaque semaine après une courte réunion regroupant Moncef Ben M'Rad, Taieb Zahar, Hedi Mechri (qui n'avait pas encore fondé le docile "L'Economiste maghrébin"), Moncef Mahroug et moi-même. Tout cela pour dire que le mercredi matin, la couverture en quadrichromie roulait déjà. Mais ce fameux dernier mercredi de juin 1989 allait s'avérer un jour de bouclage du journal de toutes les compromissions. A dix heures du matin, Mohamed Ali Ganzoui cherchait à me joindre en vain après avoir laissé cinq messages auprès de la secrétaire Amel Ben Naceur. A onze heures, Hedi Mechri et Taieb Zahar me demandèrent de les accompagner au ministère de l'Intérieur. "En route, ils m'expliquèrent que c'était une première en Tunisie à mettre à l'actif de Ben Ali que d'avoir démantelé un vaste réseau de drogue´dans la capitale et ses banlieues. En un mot, il fallait remanier la couverture et réécrire le dossier central sur un tout autre sujet: celui du combat de Ben Ali contre le trafic de la drogue. Tiens donc!!!
Arrivés au bureau de Mohamed Ali Ganzoui, celui-ci nous expliqua qu'un vaste réseau a été démantelé entre Tunis, l'Ariana, Hammam-Lif, Sidi Bou Said et La Marsa. Amor Ayari, arrêté; Zine Sadfi, arrêté, Ould El Kebailia, arrêté; divers autres petits consommateurs sans envergure arrêtés... Vérification faite, c'était vrai. Tous ces gens étaient en prison. Mais ce n'était que de la poudre aux yeux: ils quitteront leurs cellules 10 jours plus tard (voir encadré 2).
Durant la période 1989-1992, le régime de Ben Ali et ses services ont accusé les dissidents tunisiens à l'étranger de faire bouger la presse française (principalement "Le Monde", "Libération" et le "Canard Enchaîné") pour se pencher sur l'affaire et salir le frère du Président. Les dossiers montés de toutes pièces sont allés jusqu'à des incitations au meurtre...
Ce qui n'empêcha pas Moncef Ben Ali de mourir assassiné et qu'une espèce d'omerta règne depuis dix ans sur sa disparition qui avait donné lieu à toutes les supputations et toutes les rumeurs possibles...
REVELATIONS SUR L'ASSASSINAT DE MONCEF BEN ALI-2eme partie
Mort perfusé: la filière mafieuse turque :
Le procès de novembre 1992 a bel et bien eu lieu à la 14ème Chambre correctionnelle de Paris sous le regard de la presse internationale.
Tous les prévenus étaient en état d'arrestation à la différence de Moncef Ben Ali et Ridha Belhassen (Hassen, de son vrai nom) qui furent condamnés par contumace à 10 ans de prison et interdiction définitive du territoire français. Toutes les gesticulations du régime de Ben Ali et de ses affidés s'avérèrent vaines.
Et je pense notamment au rôle de Abada Kefi, avocaillon du régime ou de Me Béji son autre avocassier qui s'est prêté à défendre l'indéfendable.Seulement voilà : quatre ans plus tard, la nouvelle ne put être cachée: Moncef Ben Ali est mort, et nul ne saura dans quelles conditions jusqu'à ce jour.
Condamné par la France, son réseau démantelé à l'échelle européenne, mais protégé par son frère Président qui fit d'une sale affaire de famille une affaire d'Etat au risque de jeter le discrédit sur l'image de tout un pays, Moncef Ben Ali continua de diversifier son trafic d'héroïne et s'attaqua à d'autres horizons comme la Turquie. Se croyant tout permis, il tenta de rouler des mafieux turcs qui organisèrent son assassinat en plein Tunis.
Le soir de sa mort, Moncef Ben Ali donna rendez-vous à son épouse vers 22 heures à son restaurant. Entre temps, il se trouvait chez l'une de ses amantes à El Menzah VI, nièce du juge d'instruction ripoux Ridha Boubakeur. Cinq barbouzes d'origine turque, qui suivaient ses déplacements, sonnèrent à la porte. Ils les ligotèrent et leur administrèrent des perfusions d'héroïne avant de prendre la poudre d'escampette.
Vers 23 heures, son épouse ne voyant pas Moncef Ben Ali arriver au rendez-vous, donna l'alerte. Et c'est l'un de ses confidents qui se dirigea vers l'appartement d'El Menzah où il ne put que constater les dégâts.
L'amante a été sauvée in extremis à la polyclinique Taoufik. Quant à Moncef Ben Ali, c'en était fini. L'enquête policière précipitée permettra d'arrêter trois Turcs sur les cinq. L'un d'entre eux est mort sous la torture. Deux autres croupissent encore dans l'indifférence dans les prisons tunisiennes condamnés à 70 ans de prison.
Autant dire qu'ils ne verront jamais plus la liberté. Et ne témoigneront jamais...
Morale: On ne peut indéfiniment mentir ni cacher la vérité au mépris du peuple.
Ben Ali, qui a fait de la manipulation et du mensonge une règle de gouvernement devrait balayer devant sa porte au lieu de lâcher ses chiens contre ses dissidents qui exercent leur droit constitutionnel de s'exprimer et d'émettre des avis contraires à sa politique aveugle.
Enfin, bien avant que les vautours Trabelsi n'empochent la République, le Général Ben Ali a couvert honteusement l'un des plus gros scandales que la Tunisie ait connu à l'échelle internationale...Slim Bagga
Ben Ali, l'irascible.
Les relations franco-tunisiennes étaient au plus bas niveau depuis le coup d'Etat du 7 Novembre 1987. La France n'était pas prévenue du renversement de Bourguiba. Dans un communiqué laconique du Quai d'Orsay, le même jour, il est mentionné que " la France prend acte du changement intervenu en Tunisie et rend hommage au premier Président Habib Bourguiba".
Ben Ali a interprété cette position comme une attaque contre sa respectueuse personne.
Quelques jours plus tard, à Sousse, une usine de montage de véhicules français (la STIA), déficitaire il est vrai depuis longtemps mais à laquelle Bourguiba n'avait jamais touché, trouvant compensation ailleurs pour le pays, a été fermée. Et la presse de se déchaîner contre la France en publiant: "La Tunisie a des amis, mais elle a surtout des intérêts". En fait, il s'agissait exclusivement de "punir" la France pour son communiqué du 7 Novembre 1987.
Les relations sont restées au point mort jusqu'au 15 septembre 1988, date de la première visite officielle de Ben Ali à l'Elysée, suivie au printemps 1989 de celle de François Mitterrand en Tunisie...Encadré 2
Ganzoui, prudent,
En quittant le bureau de Mohamed Ali Ganzoui, je lui demandais une photo pour illustrer l'article concernant le démantèlement du pseudo réseau de la drogue en Tunisie. Il refusa en rigolant. Puis il finit par faire venir une photo.Trois heures plus tard, il me téléphona directement à l'imprimerie pour me dire ceci: Je vous conjure de publier la photo de Si Chedli (Neffati, ministre de l'Intérieur) dans un format plus grand que la mienne. Pour l'histoire, ce fut fait...Menaces contre "L'Audace"Depuis le retour de Mohamed Ali Ganzoui, la pression sur les dissidents et l'opposition se fait plus pesante.En ce qui concerne "L'Audace", Ganzoui est pressé d'identifier nos sources. Ce à quoi il ne parviendra jamais. La tentative d'infiltration de notre journal par le biais de Ridha Belhassen, neveu du tortionnaire Frej Gdoura a été vouée à l'échec. Ce n'est pas en volant des puces de portables invalides volontairement mis à la disposition 'd'un chargé de mission" qu'on découvrira les sources de "L'Audace".
Je reviendrais à l'occasion sur la guerre sans merci qui déchire deux serviteurs zélés de Ben Ali: Frej Gdoura et Mohamed Ali Ganzoui. C'est un feuilleton qui doit intéresser nos lecteurs.Pour l'heure, je me contenterais de rappeler à ceux qui croient que le territoire français est un terrain où ils peuvent accomplir impunément leurs méfaits, que j'ai déposé plainte avec constitution de partie civile, que je tiens l'ambassade et les agents qui y gravitent pour responsables de tout acte malveillant portant atteinte à moi-même et à ceux qui m'entourent.Les Autorités françaises ont été averties et m'ont assuré de leur vigilance; je les en remercie et leur fait part de toute ma gratitude.
Par Slim Bagga
(Source: L´Audace numéro du fevrier 2006 )
neveu du directeur de la sûreté nationale sous Ben Ali et ancien consul général à Rome. Impliqué dans le trafic de drogue avec Moncef Ben Ali, la célèbre affaire de "couscous connexions".
RépondreSupprimeril faut nettoyer la Tunisie de ces ordures...
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